
Amy Adams dans Nocturnal Animals
Nocturnal Animals : une quête identitaire glaçante
Après A Single Man (2009) Tom Ford, styliste de renom, réalise ici son second long-métrage, Nocturnal Animals. Le film est une adaptation libre de Tony and Susan d’Austin Wright. L’histoire se concentre sur Susan Morrow, une galeriste d’art de Los Angeles, riche, mariée et malheureuse. Elle reçoit un jour un manuscrit de son ex-mari Edward Sheffield, après 19 années de silence. Le roman fait le récit violent de Tony Hastings, pris en chasse avec sa famille par un gang de voleurs de voiture. Susan y voit une métaphore de la propre vie d’Edward et se remémore en même temps les souvenirs de son ancien amour, retrouvant à la lecture de ce livre une flamme qu’elle croyait perdue.
Le film est extrêmement bien réalisé et d’un grand esthétisme, avec une musique qui appuie efficacement le scénario. Il narre trois histoires en parallèle, créant trois réalisations différentes : une lumineuse et chaude des flash-backs, celle aride et brutale qui suit Tony Hastings dans les déserts du Texas, et enfin la vie lisse et froide de Susan à Los Angeles. Comme on suit ces récits multiples au travers de son point de vue, on comprend aussi que chaque temporalité est révélateur de sa perspective et de ses sentiments. C’est pour cette raison qu’Edward et Tony ont le même visage (joués par Jake Gyllenhaal), pour elle, il écrit sur lui-même. En revanche dans cette fiction imagée par Susan (interprétée par Amy Adams), elle ne se voit pas comme la femme de Tony (incarnée par Isla Fisher).
Au travers des histoires, il est également clair qu’elle se sent emprisonnée dans ses regrets et sa nostalgie, incapable d’apprécier son présent. C’est d’ailleurs cette thématique qui se situe au cœur du film. Elle est enfermée dans l’image, par les contraintes de beauté, de l’art, de la mondanité et de l’argent. Elle a perdu une partie de son âme et la possibilité de tout bonheur dans sa quête vers la richesse. Cette beauté léchée contraste encore plus avec les images violentes et bouleversantes du Texas et les flash-backs heureux de ses souvenirs avec Edward. La scène d’ouverture de Nocturnal Animals en est l’illustration parfaite : Tom Ford a filmé des femmes loin des cultes de la beauté, souvent moquées et disgraciées, qui sont ici sublimées. Elles sont belles, sensuelles et libres. Leurs formes généreuses exhibent leur ardeur de vivre. Elles se sont affranchies des codes sociaux de la beauté plastique et peuvent être heureuses en étant elles-mêmes. En comparaison, Susan est elle parfaitement intégrée dans le monde de l’art, de la richesse et de la beauté, mais c’est ce qui la rend figée, vide, mélancolique.
Malheureusement, si les diverses temporalités sont indispensables à l’histoire, elles sont parfois trop alambiquées et créent un scénario flou. Est-ce que l’histoire de Tony Hasting n’est qu’une fiction, une métaphore de la souffrance qu’Edward a vécu avec Susan ? Une histoire de vengeance ? Une menace ? Ou un mélange entre fiction et réalité ? L’esthétique parfaite et la violence psychologique cachent un scénario instable. À force de donner de multiples chemins d’interprétation, on se détache du long-métrage. Il est vrai que l‘histoire nous prend au corps, nous épuise, nous coupe le souffle. Mais presque trop et la justification n’est pas toujours évidente. La faiblesse scénaristique est certes enrobée d’une apparence filmique sublime, d’interprétations époustouflantes et d’une brutalité physique et mentale oppressante, mais cela ne l’élimine pas.
© Maëlle Colleu-Hepke
© photos : film Nocturnal Animals – allocine
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