
Burning (버닝)
Réalisateur : Lee Chang-dong (이창동)
Scénariste : Lee Chang-dong (이창동), Oh Jung-mi (오정미) d’après les nouvelles Les Granges brûlées (納屋を焼) de Haruki Murakami et L’Incendiaire (Barn Burning) de William Faulkner
Avec : Yoo Ah-in (유아인), Steven Yeun (스티븐 연), Jeon Jong-seo (전종서)
Genre : Thriller dramatique
Pays d’origine : Corée du Sud ㅣ Date de sortie (Corée du Sud) : 17.05.2018
Résumé : Jongsu (종수) travaille à mi-temps comme livreur à Séoul. Au cours d’une livraison, il croise sans la reconnaître Haemi (해미), une ancienne voisine de la campagne reculée de Paju. Rapidement Jongsu s’éprend de la jeune femme, alors que celle-ci part en voyage. De retour de son périple en Afrique, Haemi est soudainement accompagnée de Ben, un coréen plus âgé, beau et riche, au grand dam de Jongsu…
La jeunesse coréenne dévorée par ses flammes
Burning est le dernier long métrage de Lee Chang-dong, sorti en 2018. L’histoire est adaptée d’une nouvelle intitulée Les Granges brûlées (納屋を焼くdu recueil de nouvelles, L’éléphant s’évapore 象の消滅) de Murakami Haruki, elle-même inspirée de Barn Burning de William Faulkner. Après 8 ans d’absence sur les écrans, le réalisateur souhaitait revenir au cinéma avec une histoire inscrite dans le monde des jeunes d’aujourd’hui, pour dépeindre “le mystère qu’est leur colère et leur frustration”*1.
Et Burning est bien un film sur ce mystère, un thriller dramatique sur les passions enfouies, néfastes, violentes. Chaque personnage brûle ainsi à sa façon : Jongsu, frustré de sa vie, obsédé par Haemi et gérant difficilement sa colère (comme son père) ; Ben, arrogant, cherchant par tous les moyens (jusqu’à l’extrême) de combler l’ennui qu’est sa vie de riche privilégié ; et Haemi, désespérée et solitaire, mais l’incarnation même de la volonté de vivre. Chacun des deux hommes, l’un (trop) protecteur, l’autre (plus que) sociopathe, projette sur elle ses attentes et ses besoins. Jongsu et Ben, loups solitaires et toxiques, semblent s’accrocher à cette femme vibrante de vie, sans s’inquiéter de sa destruction potentielle. Lorsqu’Haemi est présente dans le film, le monde autour d’eux semble plus chaleureux, plus lumineux, plus coloré. Le soleil de la jeune femme apporte au film ses quelques couleurs chaudes, globalement absente du long métrage à l’aspect glacé, et qui disparaissent avec elle.
Même entouré par la foule, ces trois personnages semblent seuls et invisibilités dans un univers oppressant. Car la violence brûlante et destructrice animant ces jeunes gens est également en réaction à cette société accablante qui les entoure, prisonniers d’un système qui les écrase. Cette thématique est récurrente dans les films de Lee Chang-dong, que ce soit la sexagénaire Mija dans Poetry (시, 2010), le suicidaire Kim Yongho de Peppermint Candy (박하사탕, 2000) ou le “couple” insolite d’Oasis (오아시스, 2002). Burning rejoint la veine des films du réalisateur, comme une grande critique de cette société libérale et capitaliste, discutant de l’extrême frustration qui découle de la l’interdépendance entre acceptation sociale et classe sociale. Haemi en donne l’exemple, lorsqu’elle monte dans la Porsche de Ben plutôt que dans la vieille camionnette du père de Jongsu. Qui tu es n’est pas défini par ton caractère, mais par la taille de ton porte-monnaie.
Le film présenté en compétition officielle au festival de Cannes en 2018, est alors favori de la critique mais boudé par le jury*2. Un peu long pour le propos (2h30), Burning n’en reste pas moins un grand film coréen, entre critique sociale (la fille et le paysan de Paju face au riche parasite de Séoul), thriller dramatique (l’inquiétante et inexpliquée disparition de l’être aimé – faisant légèrement écho à L’avventura de Michelangelo Antonioni) et poésie. N’hésitez pas à plonger aux côtés de ces jeunes à la solitude dévorante et à la violence bouillonnante de Burning.


*1 « 젊은이들의 분노와 무력감을 미스터리로 그렸다 » – Yonhap News, 3 mai 2018
*2 « Les films qui auraient dû être palmés à Cannes » (les coups de cœur du Masque et la plume), France Inter, 22 mai 2018